LE CINEMA AFRICAIN VERITABLEMENT EN QUESTION

C’est quasiment devenu un luxe pour les critiques littéraires africains de définir le cadre de naissance des littératures de leur continent. Il est connu de tout le monde que ces littératures sont pour la plus part nées au milieu des années 1950 en réaction aux entreprises coloniales qui battaient alors leur plein en Afrique. Bien qu’à cette époque les lecteurs cibles ne sont que peu instruits, une partie de l’institution littéraire occidentale et la quasi-totalité de la diaspora africaine accompagnent ses mouvements tous frappés du sceau de la révolution. L’identité dont elles se réclament est alors rapidement élaborée et des structures se mettent en place sur le continent, une fois les indépendances acquises, pour accompagner ces littératures qui n’en finiront pas d’être rebelles car désormais confrontées à de nouvelles formes d’oppression, celle des régimes dictatoriaux qui ont succédés aux colons.

Cette présentation succincte peut être considérée comme la généalogie des littératures africaines écrites. En est-il de même pour le cinéma africain ? En d’autres termes, les critiques de cinéma en Afrique peuvent-ils au même titre que les critiques littéraires du continent noir se targuer de pouvoir dégager les éléments fondateurs de leur art ? La question mérite d’être posée lorsque l’on observe ce qu’il advient des cinémas africains modernes.

S’il est vrai qu’il est possible de poser le problème très général de la piraterie pour expliquer la mort annoncée d’un cinéma qui a du mal à se réinventer, il est tout aussi possible d’énoncer le désintéressement de plus en plus croissant dont est victime la littérature de manière générale et la disparition permanente des structures de production de la littérature en Afrique. Pour poser le problème des cinémas africains – si tant est que l’on doive au même titre que la littérature parler de cinéma(s) africain(s) – il est important de remonter aux origines sur le continent de ce genre qui a véritablement beaucoup de mal à exister.

Le cinéma fait son apparition en Afrique longtemps après qu’il ait acquis en occident ses lettres de noblesse. Ce fait se produit plus précisément au courant des années 1960 (1963) grâce au talent d’autodidacte du romancier sénégalais Sembène Ousmane dont l’œuvre titanesque témoigne à suffisance pour son auteur. Ses thématiques sont essentiellement d’ordre politique, économique, sociale et culturel. Ici par d’art pour l’art, pas de cinéma de création, de divertissement, de plaisir : le cinéma est une arme pour Sembène, un coup de point dans la figure aux colons et aux dictatures africaines postcoloniales. Trois années après (1966) naît en Algérie un cinéma que l’on peut dire du Maghreb, même s’il n’est pas totalement représentatif des particularités historiques inhérentes à chaque pays de cet ensemble. En Algérie le soubassement du cinéma c’est bien entendu la lutte menée contre les colons et la nécessité de construire un état nouveau, fière de lui-même et reconnaissant vis-à-vis du martyr de ses enfants. Il va se rependre comme une traînée de poudre dans le Maghreb car après l’Algérie ce sera le tour du Maroc et de la Tunisie. Plus généralement, à l’exemple de la littérature, les cinémas en Afrique naissent de la nécessité de trouver des moyens d’expression contre toutes les formes de censure et les différents maux qui accablent les africains.

Passé le cap des années 1980 et l’enthousiasme d’un cinéma à peine naissant, les cinémas d’Afrique semblent s’essouffler peu à peu en raison d’une part d’un manque d’originalité, d’un refus de se renouveler, de se réinventer, mais aussi et surtout à cause de l’effritement d’une institution du cinéma qui peine à se construire.

Il est possible sans être un observateur avertie d’établir une liste non exhaustive des facteurs qui président, non pas à l’essor du cinéma dans une région, mais à sa survie, ces facteurs entrant en ligne de compte dans l’élaboration de l’institution cinématographique. Car le cinéma comme toutes les autres formes d’art est avant tout un langage de l’esprit qui a besoin de très peu de choses pour naître, mais nécessite de véritables ressources et un cadre organisé pour pouvoir survivre. Ainsi telle l’institution littéraire au centre de laquelle se trouve l’écrivain, l’institution cinématographique gravite autour du scénariste. Et pour cause, le scénariste est à la base de tout dans le cinéma. Il est la tête qui met en forme une idée. Il se saisit d’une masse difforme d’idées, il l’étudie, la scrute, la retourne, la questionne, la polie et en fait un film. Chez lui tout le génie créateur est à l’œuvre en permanence (cette définition du genre n’inclus bien entendu pas les adaptions qui peuvent être faites d’œuvres littéraires ou alors de toute autre forme d’art). Et sans scénariste, il n’existe pas de cinéma. Seulement, si le scénariste est le point de naissance ou alors de départ d’une œuvre cinématographique (il peut s’agir d’un court ou alors d’un long métrage) il ne constitue pas à lui seul la structure d’élaboration d’un film. Encore faudrait-il qu’interviennent le producteur qui donne des moyens financiers au scénariste pour que naisse sur écran le film et pour qu’il soit diffusé. Au scénariste – qui a élaboré de manière brute le film, doit venir se greffer le scripte, quoi qu’il soit probable que le réalisateur assure lui-même ce rôle. C’est après qu’interviennent les acteurs, les ingénieurs de toutes qualités, les assistants, bref le personnel qui entre directement en ligne de compte lorsque le film est en phase de tournage. Lorsque la tâche est accomplie et que les bandes sont passées au montage, le film doit être dupliqué et avec l’aide des communicateurs, attachés de presse et autres il doit être livré au monde. Là se pose le problème crucial des critiques de cinéma, des festivals, des salles de cinéma ou alors des chaînes de télévision, des cinéphiles et des cérémonies de récompense.

S’il est véritablement difficile en Afrique et surtout en Afrique noire de trouver du personnel qualifié (scripte, ingénieur du son et de la lumière, programmateur, monteur, etc.) pour produire une œuvre cinématographique, il existe des denrées qui se font désormais de plus en plus rares : tout d’abord les critiques cinématographiques, les festivals, les salles de cinéma ; ensuite se pose le problème des producteurs dont la quasi inexistence est la conséquence presque logique des premiers. Pourtant, il est impossible de proclamer l’existence d’un cinéma sans ces entités qui jouent des rôles déterminants dans la commercialisation du film. Ainsi, lorsque le film est livré, il est le plus souvent mis au programme dans des festivals pour être soumis à l’observation de professionnels, avant d’être diffusés dans des salles de cinéma pour des cinéphiles, après quoi interviendront les cérémonies annuelles de récompense. C’est à ce niveau que se pose le véritable problème du cinéma africain. S’il est à peu près certain que de bonnes productions trouveront un public de cinéphiles comme c’est très souvent le cas au Nigéria ou dans certains pays de l’Afrique septentrionale, la rareté des festivals, des critiques cinématographiques qualifiés, la disparition des salles de cinéma qui ont essayé de résister avec de s’écrouler se perpétue. Toutes choses qui empêchent la rentabilisation des productions cinématographiques sur le continent noir. Phénomène qui entraine immédiatement la réticence des producteurs (particuliers et chaînes de télévision) à investir des moyens dans un secteur d’activité qui n’offre aucune garantie de retour sur investissement encore moins de bénéfice.

Faut-il donc constater par cette analyse l’échec ou la mort prochaine des cinémas africains ? Certainement pas. Mais à condition que les pouvoirs publics des pays d’Afrique réalisent enfin que le cinéma et la littérature (et donc la culture de manière générale) sont des vecteurs de développement et de rayonnement au même titre que l’économie, l’agriculture ou le tourisme. Le cinéma dit l’histoire et constitue très souvent la vitrine du pays dont il se réclame. Un cinéma en bon état de santé c’est un indicateur de développement certain car l’on sait parfaitement qu’un peuple qui se rend au cinéma est un peuple qui s’épanouit et qui dispose généralement du minimum financier pour fréquenter les salles de projection et par ricochet du l’essentiel pour vivre. Il ne suffit plus de lancer tous les anathèmes sur la piraterie pour se laver les mains car elle est combattable au même titre que tous les autres fléaux sociaux, économiques, culturels.

Elvis N N.

LE CINEMA AFRICAIN VERITABLEMENT EN QUESTION

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